• La plus part du temps nous ne revoyons jamais les enfants dont nous nous occupons. Qu'ils guérissent ou qu'ils décèdent, personne ne vient jamais nous donner des nouvelles.

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    Quand nous devons convaincre les parents de suivre un traitement ou d'aller à l'hôpital, nous savons que nous n'aurons pas de deuxièmes chances. Nous y mettons tout notre cœur en espérant que certains de nos mots atteindront leur cible.

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    En début de semaine, Awa de la nutrition m'a appelée pour me dire qu'elle était à l'hôpital avec un enfant que nous avions référé mais que la maman ne voulait pas rester à l'hôpital. Elle voulait que le traitement se fasse en ambulatoire.

    Nous n'avons pas les moyens de suivre ce genre de symptômes en ambulatoire, c'est pour cela que nous les référons. Cependant, au lieu de laisser s'évanouir la mère et l'enfant dans la nature, nous préférons organiser un protocole ambulatoire.

    Quand la maman et la petite fille sont revenues au dispensaire j'étais bien embêtée. L'anémie sévère ne pouvait que se soignée par une transfusion et nous n'avons absolument pas les moyens d'en faire. J'ai tenté de convaincre de nouveau la maman.

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    -Tu dois aller à l'hôpital si non elle va mourir.

    -Je dois m'occuper de la mère. Je ne peux pas.

    -Quelqu'un ne peut pas s'occuper d'elle.

    -Non, je suis seule et je ne peux pas la laisser.

    -Mais l'enfant va mourir.

    -Ma mère aussi si je ne m'occupe pas d'elle.

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    Cette conversation a suscité de nombreux commentaires parmi le personnel. Qui choisir, la grand-mère ou l'enfant. Qui choisir celle qui nous a donné la vie ou celle à qui on a donné la vie. En Afrique cette question n'est pas évidente, d'ailleurs même s'il y a eu un consensus pour sauver la grand-mère, la réponse n'était pas évidente. Je regrette de ne pas avoir retenus tous les arguments parce que leur point de vue était vraiment très intéressant pour comprendre leurs vie.

    Bien sûr en Europe on aurait mis la grand-mère à l'hospice pour sauver l'enfant.

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    Nous avons expliqué une dernière fois à la mère à quel point il était important d'hospitaliser l'enfant. (L'hospitalisation était entièrement payée par Terre des Hommes). Nous lui avons rappelée qu'elle allait mourir et la mère s'est mise à pleurer en expliquant qu'elle ne pouvait pas laisser sa mère.

    Alors, même si l'état de l'enfant était désespéré sans transfusion nous avons fait un protocole et nous avons donné les médicaments à la maman en lui donnant rendez-vous la semaine prochaine sans grand espoir que la petite survive jusque là.

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    Ce matin Awa de la nutrition m'a appelé pour me dire que la mère et l'enfant étaient revenues. Emue par la détresse de la mère, une voisine avait acceptée de s'occuper de la grand-mère pendant que la mère accompagnerait la fille à l'hôpital. La mère était souriante mais l'état de la petite s'était aggravé. Ana pense qu'avec une ou plusieurs transfusions ça devrait aller mieux.

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    Même si parfois on se dit que ça ne sert à rien de se battre contre des parents qui ne veulent rien entendre, de temps en temps nous découvrons que notre persévérance porte ses fruits.


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  • Dire que Marie-Louise a encore été odieuse ne fera pas avancer le débat. Dire que je lui suis rentré dans le lard juste parce que j'en ai marre de la façon dont elle me parle, non plus. Pourtant, je suis bien contente de lui avoir dit qu'elle pouvait être un peu aimable de temps en temps et utiliser les mots s'il te plait et merci.

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    Ce matin Kadi une consultante du dispensaire est venue me voir parce qu'elle était allé faire une échographie la veille. Son col était dilaté de trois centimètres alors qu'elle n'était qu'à 8 mois de grossesse. En l'absence d'Ana je fais office de directeur du dispensaire et de médecin conseil, c'est donc à moi de prendre ce genre de décision ou plutôt trouver des éléments pour m'aider à prendre une décision.

    -Qu'est-ce que je dois faire pour mon bébé?

    -Je ne sais pas, je vais appeler Ana... Elle ne répond pas, trouvez moi Marie, une sage femme et Nanette (l'interne du dispensaire).

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    Il a bien fallu une demie heure pour que tout le monde me rejoigne dans le bureau médical.

    -Un col à trois centimètre ça veut dire quoi ?

    -Si elle n'a pas de contraction, le travail n'est pas commencé.

    -36 semaines d'aménorrhée, vous pensez qu'il y a un risque s'il né maintenant ?

    -....

    -Ca fait huit mois, il y a un risque ou non ?

    -Je crois que non.

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    Heureusement qu'il existe de fabuleux ouvrages faits pas Médecin de monde pour les centres de soin primaire. Pour une gestionnaire qui doit prendre des décisions médicales, comme moi, c'est l'outil idéal.

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    Après avoir compulsé j'ai mis Kadi sous salbutamol et je l'ai renvoyée chez elle. Elle n'est pas revenue pour accoucher donc je pense que tout va bien.

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    Après cet épisode je suis passée à la maternité parce que la veille j'avais reçu deux beaux cadeaux. Une table d'examens gynécologiques et un lit de réanimation néonatale.

    J'ai monté le lit de réanimation et j'ai fait quelques essais. J'étais un peu sceptique parce que je trouvais ça un peu compliqué pour nous mais au moins ça marchait.

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    Je n'ai eu que le temps d'aller chercher des gants dans une salle de stock. Quand je suis revenue un bébé totalement cyanosé était en cours de réanimation sur notre table en bois habituel. Le bébé avait de grosses difficultés respiratoires et je sentais que la situation échappée à la sage-femme. J'ai appelé Marie en urgence.

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    Après aspiration l'enfant paraissait toujours en détresse. Marie l'a séché et à changé son pagne, c'est alors que je me suis souvenu qu'Ana disait toujours qu'un enfant qui à froid à plus de mal à retrouver une fonction respiratoire normale. Il nous fallait un cobaye pour le nouveau lit de réa, nous avons fait des tests in vivo.

    -Vous savez quand même ce que vous faites ?

    -Non

    -On espère juste ne pas le faire griller.

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    Finalement, l'enfant n'a pas grillé, il a très vite récupéré et nous nous sommes toutes les deux émues quand il s'est endormi paisiblement. Un beau bébé, ça aurait été dommage de le perdre.

    J'en profite pour remercier l'hôpital qui nous a fait ce don et l'association qui l'a transportée. Merci, merci.

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  • Spaghetti bolognaise, des amis coopérants, deux prêtres et une bouteille de myrte. Nous avons bien rigolé, bien mangé et bien bu, c'était mon anniversaire.


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  • L'ambiance au dispensaire a clairement changée. Ce matin c'est bien contraints et forcés que certains m'ont dit bonjour. Ceux en qui j'avais confiance et qui devenaient mes amis m'adressent tout juste la parole.

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    J'ai commis un crime, je n'ai pas fermé les yeux et ils ne me le pardonnent pas. J'ai mis mon nez où il ne fallait pas, j'ai donné un coup d'arrêt aux magouilles. Comme vendredi j'étais en congé j'ai l'impression que la nouvelle de mon coup de filet de jeudi à fait le tour du dispensaire.

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    Quand j'ai accepté ma mission j'ai aussi accepté de lutter contre la corruption mais je savais aussi que je ne le ferais pas avec grand plaisir. Aujourd'hui, c'est avec un manque d'enthousiasme certain que j'ai fait un contrôle surprise dans le bureau du caissier principal. Je n'ai trouvé aucune preuve directe contre lui mais j'ai découvert que ce sont près de 40 patients qui n'ont pas été comptabilisés officiellement aujourd'hui. 40 enfants, c'est 10% de notre chiffre d'affaires.

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    Quand j'ai voulu vérifier ce que j'avançais la boite qui contenait les tickets a disparu pour réapparaître vide chez les gardiens. A moins que je devienne totalement paranoïaque, c'est un véritable complot. Ils se couvrent les uns les autres et me font tourner en bourrique.

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    Comme si cela ne suffisait pas, un jeune garçon de quatorze ans est mort dans la matinée. La famille était effondrée parce qu'au lieu de l'emmener directement à l'hôpital ils étaient passés par l'indigénat, le marabout. Je suis restée à leurs côtés et avec Sidiki nous l'avons mis dans son linceul. C'est toujours un moment difficile de mettre un enfant dans son linceul. Ca nous met en face de l'irréversibilité de la mort. C'est peut-être idiot ce que je dit mais j'ai assisté à des dizaines d'enterrements et autant de visites de deuils mais mettre quelqu'un dans son linceul c'est comprendre que l'âme est partie et qu'elle ne reviendra pas. Sentir le froid de la peau, la raideur des articulations et les yeux qui refusent de se fermer. Ces yeux secs qui nous regardent quand on couvre le visage. Le sang s'est figé alors que quelques minutes auparavant on n'aurait pas soupçonné qu'il puisse s'arrêter de couler. Dans ces moments je pense immanquablement à ce que j'ai sacrifié pour venir ici. Je me demande si j'ai fait le bon choix et si un jour je pourrai rattraper le temps perdu.

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    Pour sortir de la salle d'urgence nous devions traverser la sale d'attente des adultes et j'avais peur de la réaction des autres patients. Il était difficile de cacher ce grand corps mais je ne voulais pas non plus provoquer une panique. Après avoir finit le linceul les oncles de l'adolescent ont enfin pu prendre le corps. Je me suis dit : « Peu importe la réaction des gens », il fallait qu'ils sortent.

    Comme un seul homme la totalité des cinquante personnes massées dans la salle d'attente se sont levées quand j'ai ouvert la porte pour faire sortir le corps. Psalmodiant des versés du Coran sur notre passage, ils ont fait une véritable haie d'honneur au convoi funéraire.

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    Jusqu'à ce que nous l'installions dans le taxi, les personnes autours de nous ont fait preuve du plus grand recueillement.

    Je lui ai installé confortablement les pieds, parce que je ne voulais pas qu'il soit mal. Je ne voulais pas que ce soit seulement un corps sans vie. L'un de ses oncles s'est assis a mis sa tête sur ses genoux comme nous aurions fait pour un enfant trop fatigué. Nous nous sommes regardé et nous nous sommes souris.

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    Je suis retournée dans la salle d'attente, tout semblait normal. Dans ce dispensaire même si tout parait normal, tout ce sait même le pire. Il ne faut pas se fier aux apparences.

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  • RTT

    Enfin un jour de congé, enfin un jour à moi, un jour pour moi. J'ai commencé par une grosse et grasse matinée et vers 12h quand j'ai ouvert un œil j'ai eu envie de voir Mohamed Lamine.

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    Je suis passée le chercher chez son oncle et nous sommes partis à la Croix Rouge où je devais voir Katia. En arrivant devant l'immeuble de trois étages il s'est exclamé « Mama !!! Mama !!! » En me montrant l'immeuble du doigt. « Oui Mohamed, c'est un immeuble, une maison sur plusieurs étages ».

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    Quand j'ai tendu mon passeport au gardien, il m'a regardé de travers

    -On est en pause.

    -Et alors ?

    -On est en pause, c'est la pause.

    -Vous êtes à votre poste, vous avez une main ? Alors vous prenez mon passeport et vous me donnez un badge. Parce que je n'ai pas vraiment intention de revenir après votre pause et mon rendez-vous est maintenant.

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    Chaque minute à la Crois Rouge a été un ravissement pour Mohamed. « Mama !!! Mama !!! ». Je pense qu'il n'avait jamais vu autant de blancs en une seule fois, ni autant de carrelage. Je rappelle qu'il vit dans un bidonville. Le bureau de Katia est au quatrième étage et il a une vue imprenable sur l'Océan.

    -Mama !!! Mama !!!!

    -Qu'est-ce qu'il a le gamin ?

    -Il vient de découvrir la mer.

    -Il vient de découvrir la mer, faut pas déconner quand même.

    -Je confirme, il vient de découvrir la mer. Il vit dans un village en forêt. Il n'est ici que depuis un mois et de chez lui on ne voit pas la mer. J'imagine mal son oncle dépenser 3000Frs juste pour lui faire découvrir la mer.

    Le moins que l'on puisse dire c'est que Katia est aussi à l'aise avec les enfants qu'avec les prisonniers. En sortant Mohamed s'agitait

    -Mama !! Pipi !!! Mama, pipi !!!!

    -Ici, il n'y a que des toilettes et je ne suis pas sûr que tu saches t'en servir. Tu attendras que nous soyons dehors.

    Il m'a sourit en acquiescant avec la tête et Katia m'a définitivement prise pour une illuminée.

    Arrivée dans la cour nous avons continué à discuter et Mohamed à disparu derrière l'immeuble. « Mohamed? ». Il est arrivé avec le pantalon sur les genoux. « Mama, pipi ! » Les yeux de Katia se sont exorbités et j'ai éclaté de rire. « Mohamed, on est chez des gens civilisé ici, on est au comité international de la Croix Rouge de Genève, on ne fait pas ça. Viens». Je l'ai attrapé par la main et nous sommes sortis dans la rue où il a enfin pu faire pipi dans un caniveau.

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    Comme nous avions faim l'un comme l'autre, nous sommes allé manger un kebab. Il en a profité pour se faire offrir une deuxième glace par le patron du restaurant. Nous avons, j'ai fait une orgie de tissus en prévision de mon retour en France et nous sommes allé au cyber café de l'archevêché.  

    -Maman est chez les sœurs de l'archevêché.

    -Mais, tu parles !!! Ta maman est chez les sœurs de la charité, tu veux aller la voir ?

    -Hum !!!

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    Madeleine, la maman de Mohamed est ce que l'on appelle une fille dans une situation délicate. Elle devait épouser le père de Mohamed mais il voulait la forcer à se convertir. Devant son refus il l'a abandonnée. Plus tard elle est tombée amoureuse d'un ghanéen dont elle est tombée enceinte, sitôt la petite fille née, il l'a abandonné pour une autre. Elle vit donc dans le foyer de jeunes filles des sœurs de la charité où elle s'occupe d'un enfant aveugle. 

    Nous avons discuté un bon moment et j'ai ramené Mohamed chez son oncle. C'est étrange, il a dit au revoir à sa mère et il m'a pris la main. Je pensais que la mère allait être plus tendre ou qu'il allait pleurer en partant mais ils ont juste des rapports cordiaux. Je suppose que la situation est tellement complexe que je suis loin d'avoir toutes les clés.

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    Finalement nous sommes allés à saint André pour le chemin de croix. En fait, il a dormi toute la messe et moi j'ai profité des dernières minutes avec lui.

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    Je demande si mon devoir n'est pas d'aider Madeleine et ses enfants. Je ne sais pas encore ce que je vais faire parce que je voudrai aussi qu'il aille à l'école. Ce n'est pas une décision à prendre à la légère. Ca demande réflexion.


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