• Opération prison

    Je ne voulais pas partir en vacances avant d’avoir fait une opération de traitement de la gale en prison. Ca fait six mois que j’y travaille et il est impossible d’obtenir un peu de bonne volonté de la part des différents acteurs.

    L’administration pénitentiaire dit que Ce n’est pas son problème et il est impossible de coordonner les différentes communautés religieuses qui interviennent au sein de la prison.

     

    Comme rien ne bougeait j’ai dit au père Roberto que coût que coût nous organiserions notre opération sans l’avis de personne.

    Vendredi matin en m’entendant donner rendez-vous au père par téléphone, Marie-Louise, le dragon de la pharmacie m’a annoncée que la communauté religieuse dont elle est responsable irait faire le ménage des cales justement ce samedi. Ca ne fait que six que je le lui demandais sans succès.

    Quand je l’ai annoncé, le père m’a dit que ça tombait bien puisque l’autre communauté qui intervient en prison avait elle aussi décidé de passer par la prison aujourd’hui et qu’ils distribueraient du savon. Et Marie qui avait refusé de venir en prison jusqu’à présent avait décidé de nous donner un coup de main et de nous servir de bras. Finalement l’opération que je n’arrivais pas à mettre en place se mettait en place par l’opération du saint esprit.

     

    Marie était inquiète mais ravie de venir en prison, elle voyait ça comme un moyen de rentrer dans mon univers. Je parle tellement de la prison, je me bat tellement pour les prisonniers, qu’elle voulait comprendre.

     

    A l’entrée de la prison nous avons croisé les deux autres communautés. J’ai quand même été étonnée par leur équipement, je ne m’attendais pas à tant de professionnalisme. La communauté SI a commencée par distribuer des savons, quelques vêtements et des sandwichs à la sardine à la cale malade. Nous attendions à l’extérieur de la cale ce qui nous a permis de voir que certains revendait leur sandwich aux autres cales qui n’y avait pas droit. Ils avaient l’air globalement content quand même. Après leur départ, les prisonniers sont sortis pour que l’autre communauté, celle de Marie-Louise puisse faire le ménage. A l’extérieur de la cale Marie et le père ont commencé à faire les soins habituels.

    Le chef de cale faisait venir les prisonniers un par un pour que je puisse les asperger de benzyl. Pour l’occasion j’avais emmené le pulvérisateur que le père Noël m’avait apporté. Je doute que le concepteur de cet objet destiné à traiter les rosiers des grand-mères ne se soit douté ne serait-ce qu’une seconde qu’il servirait un jour à lutter contre la gale dans une prison lugubre.

    Pour que le traitement soit efficace, il faut pulvériser le produit sur tout le corps, pour cela il faut avoir accès à tout le corps. A force de me voir les soigner tous les samedi, je fais parti du paysage, alors se déshabiller devant moi ou devant un codétenu, ils ne font pas trop la différence. C’est donc dans une joyeuse ambiance, qu’ils se sont mis en tenue d’Adam et que je leur ai donné leur traitement.

     

    On a rit, on a fait des photos et tout le monde était content. C’était un peu jour de fête à la prison centrale.

     

    Quand Marie et le père ont fini leurs soins ils sont venus me dire qu’ils allaient dans les autres cales. Il ne me restait que les prisonniers paralysés qui avait du mal à se laver et que j’attendais, je leur ai dit de ne pas m’attendre et que je les rejoindrai.

     

    Après la cale malade, je suis donc allée dans la cour des prévenus, je ne l’avais jamais vu aussi pleine.

     

    «Benzyl ! Benzyl ! Gale mouna* ! Benzyl ! » *Plus de gale

     

    Et voilà en moins de dix seconde j’avais l’attention de toute la cour. Je me suis mise dans un coin d’où je pouvais observer la totalité de la cour et j’ai recommencé mon travail.

    Les prévenus étaient beaucoup moins disciplinés que les malades et très vite une bagarre a éclaté. Je suis restée tétanisée mais un bras m’a attrapé par la grille qui était dans mon dos et m’a hissée sur les escaliers à côté de moi, les gardes sont intervenus dans un temps record et le père Roberto a fendu la foule pour calmer la situation. Je suis restée interdite sur les escaliers.

    Quand le calme est revenu le père est venu me voir.

    –Tu vas bien ?

    -Je crois.

    -Tu peux continuer ?

    -Oui.

     

    J’ai changé de place. Je me suis mise au milieu de la cour, où je pourrai plus facilement m’échapper que dans un coin entre un mur et un escalier. J’ai exigé qu’ils soient en file indienne et qu’aucun ne resquille. Comme un caniveau traversait la cour je m’en suis servie de limite virtuelle. Ils étaient d’un côté et moi de l’autre. Ca évitait les bousculades et ne m’obligeait pas à reculer systématiquement devant leur avancée. Je ne voulais pas mettre de arrière physique en eux et moi, c’est d’ailleurs là-dessus que je base mon travail mais, aujourd’hui, c’était une question de sécurité.

     

    L’ambiance a commencé à se détendre. La plus part des prisonniers étaient nus avant d’arriver devant moi et continuaient à sécher, toujours nu, au soleil pendant de longue minutes. Mais d’autres étaient plus réservés.

    -J’ai juste de la gale sur les doigts.

    -Tu sais, il faut traiter tout le corps.

    -Et un peu sur les pieds.

    -Sur les mains, sur les pieds, tu es sûr que tu n’en as pas ailleurs ?

    -Oui, dans le dos aussi.

    -Et les fesses ?

    -Les fesses aussi.

    -Il faut que j’enlève tous les vêtements ?

    -C’est mieux ?

    -Oui c’est mieux.

    Finalement ils finissaient comme les autres non sans essuyer les moqueries de ceux qu’ils maltraitent à longueur de journée. Les moquerie étaient généralement en langue pour que je ne comprenne, mais visiblement il y en avait un qui avait un compte à régler avec son chef de cale et qui en plus avait le sens de l’humour.

    -Tantie il a honte.

    -Tu sais ce n’est pas facile, je comprend qu’il ait honte.

    -Mais moi Tantie, je n’ai pas honte. Je suis malade, je le dis. Je suis tout nu et tu me soignes et je ne serai plus malade. Mas lui c’est un chef de cale alors il a honte de dire qu’il est comme moi mais moi je serai guéri.

    Et il s’est mis à danser autours de son chef de cale en se frottant le plus intime de son intimité. « Je ne serai plus malade et toi tu restera galeux ! »

    Le chef de cale a abandonné et s’est mis en tenue réglementaire, tout nue.

     

    Marie était un bout de la cour et moi à l’autre, le père faisait les aller et retour entre nous deux. Finalement, Marie est venue s’installer sur les escaliers à côté de moi. C’est à ce moment que l’ambiance s’est durcie. Le rang n’était plus respecté, les chefs de cale et de couloir, les derniers à passer, jouaient les caïds. Il fallait faire la police et avec tout ce monde ce n’était pas facile. L’incident était de nouveau proche. J’ai sentit une main m’agripper le bras. Je me suis retournée violemment le pulvérisateur menaçant : « Marie, c’est moi Roberto ! Ne crains rien, je prends la relève. »

     

    Je l’ai laissé finir et j’ai discuté avec Abdoulaye. Il m’a demandé de l’argent, je lui ai dit que je n’étais pas là pour lui en donner. Il m’a répondu : « Ce que tu nous donnes, c’est beaucoup mieux que de l’argent. Tu nous donnes la santé, tu nous donnes l’espoir. Mais tu peux aussi nous donner de l’argent. » Comme toute réponse j’ai ri, je crois que cette histoire d’argent est devenue une sorte de private jock.

     

    En sortant avec Marie, nous sommes allées manger le traditionnel kebab et nous avons fait quelques emplettes. En entrant dans le taxi elle m’a raconté la façon dont sa grand-mère voyait sa mission.

    -La seule chose qu’elle sait dire c’est qu’elle ne comprend pas pourquoi je suis partie soigner des noirs !

    -…

    -Quoi ???

    J’ai éclaté de rire, un fou comme je n’en ai pas eu depuis le cours d’économie de monsieur Kaiser en terminale. Impossible de lui dire pourquoi je rigolais. Il a fallut attendre que nous sortions du taxi pour lui expliquer qu’a sept dont seulement deux blanches dans une Renault 9, il n’était pas vraiment diplomatique de dire ce genre de chose.

     

    J’aime bien Marie, parce qu’elle ne voit le mal nulle part, par exemple : elle trouve ça vraiment bien la prison, elle s’y sent bien. Je lui ai quand même expliqué qu’il s’agissait d’une journée un peu particulière et qu’ils ne sont pas toujours aussi détendus. En plus, ils n’étaient pas vraiment détendus.

    Moi je trouve ça dur la prison, je trouve ça inhumain, je ne trouve pas ça bien. Même un jour comme aujourd’hui j’en ai vu trois atteints du béribéri, quatre se faire violemment frapper et deux qui avaient des marques de tortures. Vraiment je ne trouve pas ça bien.


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